Histoire du Japon
Afin mieux cerner l’histoire du Japon vous pouvez commencer par ces articles d’introduction au Japon, sa culture et son histoire :
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Le Japon, situation géographique
Histoire des religions au Japon
Les origines du Japon
A Kyushu, l’ile méridionale, trône le plus haut volcan en activité du monde, le Mont Aso, le berceau de la race car c’est là, dit la légende, que le premier empereur Jinmu aurait commencé son exploration vers l’Est.
Kyoto capitale pendant plus de mille ans est aujourd’hui la 7ème ville du pays et le centre de la culture traditionnelle. Du palais impérial, inauguré en 794, il ne reste rien, mais une reconstitution qui date du siècle dernier donne une idée de ce qu’était la vie en l’an 800 à l’époque où en Europe régnait Charlemagne.
Ici, les enfants peuvent encore jouer en toute quiétude dans les rues. Kyoto ne renie pas son aspect provincial, elle prétend en tirer même l’un de ses charmes. La vie s’y écoule beaucoup plus paisiblement qu’à Tokyo. Pour tout dire les habitants de Kyoto considèrent ceux de la capitale comme de dangereux agités. C’est la cité des traditions les plus sophistiquées mais aussi des plus simples comme celle des marchands de fleurs ambulants qui vendent leurs bouquets au fil des rues comme ils le font depuis un millénaire.
La guerre pour le pouvoir
En 1568, Oda Nobunaga, un petit seigneur appuyé par une armée de quelques milliers d’hommes décidés repris par la force les rênes d’un empire qui périclitait. En 1582, il fut trahi par un de ses généraux Hideyoshi qui le poussa au suicide et s’empara du pouvoir. Un autre général Tokugawa succéda, sa dynastie dirigea le pays durant 250 ans.
Le Japon vécut alors dans un isolement quasi-total, il se manifesta également dans le domaine culturel. Depuis la fin du 9ème siècle, tout contact avec la Chine avait été officiellement interdit.
Les pagodes japonaises s’inspirent incontestablement de constructions chinoises contemporaines, mais elles témoignent d’un style original guidé par un grand souci d’équilibre et d’harmonie.
Cette même qualité esthétique se retrouve dans la célèbre cérémonie du thé. La disposition du service de table, le cadre, le rituel ressemble à une véritable liturgie. Chaque mouvement est réglé par un code soigneusement établi et qui contribue, par ailleurs, au ciment social car ces rites sont communs aux riches et aux pauvres, aux princes et aux simples agriculteurs.
Les geishas
Autre tradition séculaire, celle des geishas. Contrairement à une légende tenace, ce ne sont pas des prostituées, mais de véritables artistes, expertes dans les arts de la danse et du chant et musiciennes de talent. Leur rôle consiste à égayer une soirée d’hommes en la ponctuant de leurs prestations artistiques et de quelques mots d’esprit. Cette catégorie raffinée d’hôtesses de distinction est en voie d’extinction. Spirituelles, cultivées, les geishas qui ne correspondent généralement pas aux critères de beauté occidentaux, ni pas leur physique, ni par leur âge, sont de plus en plus souvent remplacées par des entraineuses comme on en connait en Europe et aux Etats Unis.
L’empereur, les castes
Dès l’origine le rôle de l’empereur fût avant tout symbolique. Il était devenu très vite de tradition qu’il délègue ses pouvoirs à un shogun, un généralissime dont la puissance ira croissante du 12ème au 16ème siècle, période considérée comme le moyen âge nippon. Cette féodalité subit ensuite le même sort que celle qui avait dominé en Europe. Elle laissé place à une génération de seigneurs de la guerre les daïmios, multitude de potentats locaux régnant sans partage sur des territoires parfois minuscules.
La société était figée dans une structure de castes extrêmement rigide dont le sommet était réservé aux guerriers, les samouraïs. Ceux-ci étaient soumis à un code d’honneur qui leurs dictait une obéissance aveugle aux daïmios. C’est dans le bushido, littéralement « la Voie du Guerrier » que l’on trouve la description très précise du fameux suicide rituel que les occidentaux ont surnommé « hara-kiri », mais que les japonais appellent seppuku.
Lorsque le seigneur avait décidé de la mort d’un de ses samouraïs, il lui laissait la latitude de s’exécuter lui-même honorablement. Certains notables se suicidaient parfois volontairement à la suite d’une défaite militaire ou d’un échec politique. Si elles font, généralement, horreur aux mentalités occidentales, ces pratiques sont communes au fil des âges à la plupart des sociétés militaristes.
Au début du 16ème siècle, le pays était dévasté par 400 ans de belligérances continuelles et par la lente désintégration du pouvoir central. Cependant des regroupements autour des chefs militaires les plus importants firent immerger un nouvel homme fort, l’un des plus puissants vassaux de l’est du Japon Tokugawa. Celui-ci s’autoproclama shogun Le primus inter pares, le daïmyo des daïmyos en principe soumis à l’empereur, mais en fait tout puissant.
Les shoguns vivaient dans d’imposantes forteresses dont le plus prestigieux témoignage demeure l’actuel palais impérial de Tokyo. Plus efficace encore que l’épaisseur des murailles, était la fidélité inconditionnelle des samouraïs dont les attributs guerriers laissent aujourd’hui une image impressionnante.
Le sabre Japonais
Dès le 13ème siècle, un art héroïque totalement original trouva à s’exprimer dans la forge des lames et des gardes de sabres. A cette époque, seuls les samouraïs avaient le droit de porter le sabre. Symbole sacré des liens unissant le guerrier à l’empereur. Ces armes qui continuent à être produites par un nombre très limité d’artisans ont pris avec le temps une extrême valeur.
Véritables œuvres d’art, les sabres contemporains sont signés comme l’étaient déjà la plupart des sabres anciens. Une trentaine d’entre eux précieusement conservés dans un musée spécialisé dans la capitale sont classés « trésor national ».
Le 16ème siècle
En bouclant son tour du monde en 1521, Magellan démontra définitivement que l’Asie et l’Amérique constituaient 2 continents séparés. Prêtres et commerçants européens n’eurent alors de cesse de prendre pied dans ces territoires réputés ouverts à toutes formes de civilisations nouvelles. Au début du 17ème siècle, on recensait au Japon près d’un demi-million de catholiques, mais déjà la religion venue d’Europe était décrétée hors la loi.
Sous la pression des prêtres bouddhistes, les shoguns profondément conservateurs commencèrent dès 1697 à tolérer les exactions commises sur les chrétiens, puis à les encourager pour ensuite les organiser eux-mêmes. En quelques années des dizaines de milliers de catholiques furent persécutés ou plus simplement exécutés. Tout enseignement de doctrines nouvelles étant, bien entendu, interdit, tandis qu’étaient incendiés les monastères où on les professaient.
Cette épuration intense avait été précédée en 1592 par une guerre d’expansion menée en Corée par le shogun Hideyoshi. Plutôt qu’une opération militaire, il s’agissait d’une entreprise de pillage systématique, 160 000 soudards lancés à l’assaut d’un pays pratiquement désarmé. Après une 2ème expédition semblable menée 5 ans plus tard, les japonais ne se retirèrent finalement de la péninsule coréenne qu’en 1598 emmenant avec eux un immense butin. Cette mise à sac devait créer entre les 2 peuples une animosité dont les effets restent perceptibles aujourd’hui.
La timide ouverture vers l’extérieur tolérée au milieu du 16ème siècle avait subi un coup d’arrêt au moment des persécutions exercées sur les chrétiens, elle fut définitivement jugulée dès 1635. Les européens, portugais, anglais et français furent à leur tour décrétés hors la loi. Le Japon rejeta les étrangers à la mer en même temps qu’il interdisait aux japonais de quitter leurs iles. Ils se condamnaient à une autarcie quasi-totale.
L’art Japonais
Force et pourtant de constater que cette période coïncide avec l’apogée culturelle de la société nipponne. L’unification nationale parachevée par le shogun Tokugawa et la richesse des négociants débarrassés de la concurrence des marchands étrangers apporte alors aux classes supérieures une richesse matérielle sans précédent.
Le bois matériau de prédilection de l’architecture sert aussi à la réalisation de miniatures appelées netsuke ciselés avec une profusion de détails. L’artiste se veut poète, mais il ne néglige ni l’humour, ni la satire.
La céramique est une autre forme d’art national dont les premiers témoignages remontent au 5ème millénaire mais qui s’est trouvé fortement influencée par les techniques pratiquées en Chine et en Corée notamment à la suite de l’invasion de ce pays dont les japonais ramenèrent de force au 16ème siècle de nombreux artistes.
Bizen, s’est fait une spécialité de ses poteries, une centaine de fours y produisent une céramique qui se caractérise par une texture rude, non vernissée aux tons bruns et rouges.
Mais les villes sacrées de la céramique japonaise sont : Karatsu et Arita dans l’extrême sud du pays. Toujours suivant l’influence coréenne, cet art s’y est diversifié au 17ème siècle dans la production d’une porcelaine rouge ou bleu-vert très caractéristique. Coréenne aussi, la pratique très délicate de la dorure à la feuille qui s’applique à la fois au bois ou à la porcelaine, au papier ou au métal.
S’écoulent alors plus de 2 siècles d’une vie politique léthargique, les japonais vivaient en circuit fermé dans une volonté d’identité nationale absolue qui ressemblaient à de l’aveuglement. Alors que l’Europe et l’Amérique amorçaient leur révolution industrielle, le Japon somnolait volontairement plongé dans une sorte de régression historique.
Les samouraïs, eux-mêmes, étaient réduits à vivoter, leur code d’honneur leurs interdisait toute occupation mercantile hors la pratique des armes. Le paradoxe était que dans ce pays replié sur lui-même, toute forme de guerre avait perdu son sens, sinon des petits conflits internes, la répression occasionnelle de l’un ou l’autre soulèvement paysan. Une piètre mission pour des guerriers professionnels, dès lors condamnés pour occuper leurs loisirs forcés à se plonger, comme la plupart, finirent par s’y résoudre, dans une étude approfondie du confucianisme, de l’histoire ou des sciences naturelles, tâches évidemment fort mal rémunérées.
Sur le plan religieux, les maîtres du Japon adoptèrent officiellement une doctrine dérivée du confucianisme prêchant l’ordre, la discipline et la loyauté des sujets à l’égard de leur maitre. Ce dogme bien de nature à renforcer le centralisme politique et ambiant ne suffisait évidemment pas à faire brèche au bouddhisme, religion de prédilection.
Les shoguns eurent donc la prudence de composer avec ce culte qu’ils considéraient en fait comme séditieux, mais qui avait pour mérite d’éduquer les enfants, d’honorer le shogun et l’empereur et de surveiller de près une éventuelle résurgence du catholicisme. Car au milieu du 19ème siècle, toute personne, au Japon, qui osait s’affirmer chrétien ne risquait rien moins que sa tête.
Le 19ème siècle
Mais les temps changeaient, en juillet 1853, 4 navires de guerre arborant la bannière étoilée jetèrent l’ancre dans la baie d’Edo. L’amiral Perry, commandant de l’escadre était chargé par le Président Fillmore en personne de conclure, de gré ou de force, un accord permettant aux américains d’avoir accès aux ports japonais et d’y faire du commerce.
Après 6 siècles de pouvoir militaire, les samouraïs comprirent qu’ils ne pouvaient pas grand-chose contre leurs adversaires venus du levant et qu’ils allaient subir le sort imposé 10 ans plus tôt par les britanniques aux voisins chinois.
Ils furent donc contraints de se soumettre à ce barbare étranger qu’ils jugeaient, par ailleurs, prétentieux et mal éduqué. L’évènement était considérable, après plus de 2 siècles de repli du pays sur lui-même sans aucun contact avec les réalités extérieures, les japonais ignoraient tout de Voltaire, Washington, Jefferson, Franklin ou Pasteur. Ils n’avaient aucune notion des idéaux qui avaient conduit à la création des Etats-Unis et au renversement de la royauté en France.
Les mutations économiques dues aux progrès scientifiques, l’utilisation de la vapeur ou du télégraphe, leurs étaient inconnues. L’intrusion américaine dans les ports japonais projeta brutalement le pays du soleil levant dans un monde nouveau. Car en signant un premier traité avec le commodore Perry, le dernier shogun Tokugawa ouvrait, évidemment, toutes grandes les portes de son pays aux occidentaux : anglais, français, russes, hollandais, portugais.
Le dernier des Tokugawa avait été contraint par les réalités militaires de désobéir à son empereur qui prêchait la résistance. Sa capitulation lui valut la méfiance du peuple et le mépris de ses pairs. Les daïmios mirent aussitôt leurs samouraïs au service de la cour impériale afin de lui donner les moyens de chasser le généralissime.
Le dernier carré des partisans de Tokugawa fût vaincu en 1868. Le shogunat institué 676 années plus tôt avait vécu. Tokugawa démissionna et restitua la totalité du pouvoir politique à l’empereur Moitsito. Celui-ci venait à peine d’accéder au trône, à l’âge de 15 ans, il inaugurait l’ère de la restauration, l’ère Meïji.
Premières victimes de ces temps nouveaux, les samouraïs, jugés trop turbulents, ils furent aussitôt désarmés. A l’isolement total succéda l’européanisation à outrance. Moitsito se fit tailler ses uniformes à l’européenne, symbole suprême le jour de son anniversaire, fût d’écrêté fête nationale. Les ministres faisaient assaut de réformes, Tomomi le plus habile, Hirobumi pourtant un homme de droite qui en d’autres temps aurait été un champion du conservatisme, Taisuke, un authentique libéral. Tous se mirent au service d’une politique de changement à tout prix.
Cette modernisation incluait en vrac : le téléphone, les chemins de fer, le calendrier grégorien, la photographie, les banques et même les grands magasins. Mais la conséquence essentielle de ces grands bouleversements fût la mutation d’un pays jusqu’ici voué à l’agriculture en une véritable puissance industrielle.
Par un singulier retour des choses, le Japon devint alors pour les européens, le pays à la mode. On en trouve de nombreux témoignages dans des tableaux de Monet, de Van Gogh, des affiches de Toulouse Lautrec, des œuvres de James Wisselaar. Le sujet inspire même à Gilbert & Sullivan, une opérette créée à Londres en 1885.
Si les dirigeants japonais prônent le changement, ils veillent à protéger leur statut personnel. La nouvelle constitution de 1889 s’inspire des modèles occidentaux, mais elle sacralise l’autorité de l’empereur, celle de sa cour et même de ses ministres. Si réformes sociales, il y a, elles ne visent pas au progrès, mais à la paix civile. Quelques rebellions réactionnaires, bien que vite réprimées, ont en effet persuadés les nouveaux hommes au pouvoir de la nécessité d’une profonde réforme de l’armée.
L’armée Nippone
Les samouraïs ayant été remerciés, l’empereur décrète dès 1872, l’instauration d’une armée moderne entièrement remodelée et basée sur la conscription. Tous les citoyens de 17 à 40 ans sont tenus d’effectuer un service militaire de 3 ans.
Le code d’honneur des samouraïs ne tombe pas pour autant en désuétude, les décennies à venir en apporteront de nombreuses démonstrations. En attendant dans ce domaine comme dans bien d’autres, le Japon puise son inspiration en occident avec les préceptes d’égalité et de liberté dont il affirme vouloir s’inspirer, il importe une haute technologie.
En matière de marine, la Royal Navy reste la référence suprême, c’est donc elle, qui formera les nouveaux équipages nippons. Quant à l’armée de terre, elle s’inspirera d’abord du modèle français, mais après l’échec de Napoléon III face à Bismarck en 1878, c’est aux prussiens que les japonais emprunteront l’essentiel de leur savoir-faire en la matière.
Le pouvoir civil est exercé par la Diète, un parlement composé de 2 Chambres, mais c’est un pouvoir très formel. En fait dès la fin du 19ème siècle, l’essentiel de la décision appartient aux militaires protecteurs d’une oligarchie de financiers et d’industriels dévorés d’ambition. Les japonais ne font qu’imiter, une fois de plus, les Etats-Unis et les grandes puissances européennes dont la politique étrangère vise à dépecer le reste du monde pour y imposer leur loi économique par persuasion ou par force.
Dernier inscrit dans la classe des nations développées, le Japon, élève particulièrement doué, aborde le siècle nouveau dans l’euphorie. En cette aube du 20ème siècle, les japonais vivent déjà dans une recherche d’harmonie entre progrès et tradition qui va devenir le trait dominant de leur vie quotidienne.
Trains électrifiés, machines à écrire coexistent avec des techniques de production moyenâgeuses. Le progressisme avait frappé trop vite et trop fort. Ce système qui constitue à former une multitude à la fois compétente et soumise passe à côté de la vraie modernité pour glisser irrésistiblement vers une idéologie totalitaire.
S’il y avait une institution qui avait bien résisté au modernisme ambiant, c’était la religion. Pas celle des bouddhistes, jugés presque séditieux avec leur vision passéiste du monde, mais celle du shintoïsme et du confucianisme qui l’inspire. Officiellement élevée au rang de religion d’état, le shintoïsme devient dès lors une arme supplémentaire aux mains des politiciens et des militaires ultra nationalistes, la caution auprès de millions de fidèles d’une règle obscure et impérieuse de soumission à l’empereur et bien évidemment à tous ceux qui se réclament de lui. Une doctrine parfaitement dans l’air du temps dès lors qu’elle prône des règles d’obéissance et de respect de la hiérarchie.
La toute nouvelle marine japonaise s’était taillée un premier succès face aux chinois en 1894 à l’issu d’une courte guerre qui permis à Tokyo de s’emparer de l’ile de Formose, simple prélude à une autre victoire beaucoup plus convaincante remportée en 1904 par l’armée de terre japonaise sur la garnison tsariste de port Arthur en Manchourie. 400 000 soldats russes rendirent les armes à 300 000 japonais qui révélèrent, à cette occasion, de réelles qualités guerrières, mais surtout un moral d’acier et une absolue volonté de vaincre.
Pour la première fois, l’armée impériale reprenait à son compte les vertus de ses ancêtres « les samouraïs ». Cinq mois plus tard, ce succès se transforma en triomphe lorsque l’amiral Togo infligea une humiliante défaite aux escadres russes dans le détroit de Tsushima. Le président américain Roosevelt ne dédaigna pas de superviser personnellement les négociations de paix. Celles-ci accordaient au Japon une tête de pont en Chine et dans les iles de Sakhaline. Les vainqueurs jugèrent cela très insuffisant, à Tokyo, une manifestation de protestation fit 1 000 morts.
En 1910, le japon annexa la Corée sans susciter la moindre réaction internationale. Entre temps, le pouvoir impérial s’était prudemment replié sur les 50 hectares de son palais de Tokyo.
Né avec le siècle Hirohito monta sur le trône en 1926, intellectuel, biologiste de formation et par ailleurs, d’apparence très réservée, l’homme n’avait rien d’un seigneur de la guerre destiné à être déifié. Il n’en restait pas moins, pour ses sujets, le symbole de cet astre du jour qui figure sur le drapeau, le descendant direct du soleil rayonnant, l’intermédiaire privilégié entre le dieu suprême et la masse soumise de ses fidèles adorateurs. Un emblème vivant incompréhensible à une mentalité occidentale incapable de concevoir en un seul personnage, le christ, le pape et le chef de l’état. Pas plus qu’on ne peut fixer le soleil, on ne pouvait fixer l’empereur, on ne défilait devant lui que les yeux baissés avec humilité et soumission. Sur le passage de son carrosse, ses sujets étaient tenus ce clore toutes leurs fenêtres. Un train roulant vers Tokyo était toujours prioritaire car c’est à Tokyo que vit l’empereur.
Aucun japonais n’était autorisé à posséder une voiture de couleur marron car telle était la couleur des voitures de la cour. Lorsque le time magazine consacra sa page de couverture à l’empereur, la diplomatie impériale cria au sacrilège. Cette dévotion d’un autre âge dissimulait malheureusement de beaucoup plus pénibles réalités. Le pouvoir s’appuyait sur une police musclée. Tout citoyen soupçonné de simple tiédeur à l’égard du régime était menacé d’arrestation arbitraire ou d’élimination physique pure et simple.
Dès la fin des années 20, les militaires pouvaient généralement compter sur les soi-disant forces de l’ordre pour mettre le pays en coupes réglées. Malheur à la classe politique libérale comme aux rares téméraires tentés par une réflexion marxiste. Et là où la répression officielle ne suffit pas, on fait appel aux sociétés secrètes. La plus célèbre est celle du dragon noir solidement implantée à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur des frontières. Les hommes de main de l’extrême droite utilisent l’action politique comme écran d’activités moins avouables et plus lucratives : corruption, drogues, prostitution, assassinats. Leur chef Mitsuru Toyama a pignon sur rue, comme Al Capone, il impose sa respectabilité par la terreur. Aujourd’hui encore, cent milles de ses héritiers, les yakuzas réalisent au Japon des bénéfices illégaux de quelques 50 milliards de dollars.
On relève dans les annales du sport japonais, l’apparition très remarquée du baseball en 1873 destiné à un bel avenir. Un demi-siècle plus tard, il était aussi populaire au Japon qu’aux Etats-Unis et les plus grandes vedettes américaines se taillaient un beau succès dans des exhibitions suivies par des foules enthousiastes. Cela ne plaisait pas aux ultras conservateurs. Pour avoir organisé une de ces démonstrations sportives, un des plus célèbres éditeurs de journaux de Tokyo fût tout simplement assassiné.
A l’époque déjà, les coûts de production très faibles des manufactures japonaises suscitaient l’irritation de la concurrence occidentale. Les asiatiques étaient réputés capables de produire n’importe quoi à des prix dérisoires. On les accusait aussi, c’était au début du siècle, de pirater systématiquement les brevets déposés et d’élever l’imitation au niveau d’un système économique. Nul n’ignore que le problème reste d’actualité, sinon que le label « made in Japan » n’implique plus aujourd’hui un produit de qualité inférieur notamment dans le secteur de l’électronique et de l’automobile.
Le don de copier devint donc une vertu nationale, même lorsqu’il s’agissait de fabriquer des drapeaux américains. L’importation des techniques occidentales n’avait pas augmenté sensiblement les salaires, les suppléments de bénéfices n’étaient pas réinvestis dans le circuit commercial traditionnel, mais plutôt dans l’industrie lourde et surtout à vocation militaire. Les puissants lobbies financiers travaillaient main dans la main avec les généraux au pouvoir pour transformer l’économie japonaise en une gigantesque machine de guerre et de conquête.