Le cinéma Japonais
L’histoire du cinéma japonais commence au début du siècle, dans les années 1900 – 1910, et débute avec le tournage discret de films documentaires et de classiques de pièces de théatre Kabuki, généralement quelques scènes célèbres, les pièces étant trop longues (au moins 4h).
Puis, un peu plus tard, vient l’époque des benshi (ou « homme parlant »), qui lisent et commentent les intertitres des films muets avec force et improvisation. Les images restant en arrière plan, ces commentaires sont pour le public la principale attraction d’un film et certains de ces commentaires étaient interprétés avec tellement d’enthousiasme et de brio, que certains s’accordent à dire qu’il s’agit là du premier âge d’or du cinéma nippon.
Les premiers films d’auteurs font leur apparition au début des années 1920 avec par exemple des réalisateurs tels que MIZOGUCHI Kenji qui réalisa son premier film, Le jour où l’amour revit (Ai ni yomigaeru hi) en 1922.
Il faudra cependant attendre les années 50 pour enfin voir l’apparition d’un véritable art cinématographique japonais.
Le cinéma japonais dans les années 50
C’est le deuxième âge d’or (ou l’unique pour d’autres). C’est à cette période que les grands studios sont les plus productifs. A cette époque, seules six grands studios (Daiei, Nikkatsu, Shintoho, Shochiku, Toei et Toho) se partagent toute la production nippone. Tournant chacun environ 2 films par semaine, ils produisent un total de plus de 600 films par an. Bien sûr, la qualité de ceux-ci est inégale et quelques chefs d’oeuvre côtoient des films dont l’intérêt est, dirons nous, limité.
Pourtant, cette abondance de productions n’a pas que des désavantages. En effet, elle fournira l’occasion à quelques cinéastes de faire leurs premières armes et de se forger une renommée internationale.
Parmi eux KUROSAWA Akira qui, avec son incroyable et désormais classique film Rashômon (羅生門, 1950), décroche le Lion d’or du festival de Venise en 1951. Le cinéma japonais est dès lors propulsé sur le devant de la scène internationale. Il réalisera plus tard un autre film que la critique considère comme son chef d’oeuvre, Les sept samouraïs (七人の侍, Shichinin no samurai, 1954). Ce film obtient le lion d’argent à Venise en 1954 et contribua grandement à la renommée de KUROSAWA (plus même que Rashômon). Un remake américain verra d’ailleurs le jour en 1960, Les sept mercenaires.
A partir de là débute une véritable envolée des cinéastes japonais dont les oeuvres sont montrées et appréciées aux quatre coins du monde. La critique française de l’époque s’enthousiaste et chouchoute justement le réalisateur MIZOGUCHI Kenji, qui se révèle comme étant LE maître du grand écran. A son actif, on dénombre pas moins d’une centaine de films dont les plus notable sont Les Musiciens de Gion (祇園囃子, Gion bayashi, 1953) et bien sûr La Vie de O’Haru femme galante (西鶴一代女, Saikaku ichidai onna, 1952) ainsi que Les Contes de la lune vague après la pluie (雨月物語, Ugetsu monogatari, 1953), ces deux derniers aussi seront primés a Venise.
Dans le même temps, KINUSAGA Teinosuke remporte la palme d’or du festival de Cannes en 1954 pour son film La porte de l’enfer (地獄門, Jigokumon, 1953). Lui aussi débuta sa carrière de réalisateur au début des années 20.
C’est également à cette époque qu’OZU Yasujirô réalise ses films les plus connus comme Printemps tardif (晩春, Banshun, 1949) ou encore Le Goût du riz au thé vert (お茶漬の味, Ochazuke no aji, 1952). Il réalisa cependant un bon nombre de films entre 1920 et 1930, mais ceux-ci resteront bien moins populaires.
Un autre genre appelé Shom Geki, des mélodrames décrivant la vie quotidienne des petites gens, était déjà installé à cette période. Le plus grand représentant de ce genre est sans doute NARUSE Mikio. Il réalise Nuages flottants (浮雲, ukigumo, 1955) et aussi Mère (おかあさん, Okaasan, 1952). Sa consécration viendra pourtant de son premier grand film Ma femme, sois comme une rose (Tsuma yo bara no yo ni, 1935), qui gagne le prix du meilleur film japonais en 1953 (prix kinema jumpo) et est le premier film japonais parlant à être distribué aux Etats-unis.
Le cinéma japonais d’animation
Avant la seconde guerre mondiale, il existe déjà des animateurs au japon tels que KITAYAMA Seitarô, pionnier du cinéma d’animation au japon. Je ne m’attarderais pas trop sur le sujet, le cinéma d’animation méritant à lui seul un article. Il est tout de même bon de mentionner que le lancement du studio TOEI Animation, filiale du studio TOEI et fondé en 1956, est un tournant dans cette histoire. Il s’agit en fait de l’absorption d’un studio déjà existant qui s’appelait Nichidô Eiga-sha et qui produisait des courts métrages.
Au lancement du studio TOEI Animation, celui-ci avait beaucoup d’ambition et notamment celle de devenir le « Disney » asiatique en réalisant et en proposant des films d’animations d’une qualité équivalente, voire supérieure, à celui du célèbre studio américain. Néanmoins, cela n’est pas chose facile.
Le premier film produit par la Toei est Le Serpent blanc (白蛇伝, Hakuja den, 1958) en 1958 et est réalisé par YABUSHITA Taiji. Dans un soucis de qualité, ce film fut réalisé avec une fréquence de 32 images par seconde (le standard au cinéma est aujourd’hui de 24 images par seconde) ce qui confère aux personnages une fluidité parfois étrange.
De 1956 à 1971, dix neufs long métrages y seront produits. Certains d’entre eux sont d’ailleurs disponibles en DVD en France, distribués par Wildside Video. Ils sont donc pour nous les plus connus et il s’agit de :
- Le Serpent blanc (白蛇伝, Hakuja den, 1958)
- Horus, Prince du Soleil (太陽の王子 ホルスの大冒険, Taiyo no oji : Horusu no daiboken, 1968)
- Le Chat botté (長靴をはいた猫, Nagagutsu o haita neko, 1969)
- l’île au trésor des animaux ( Dôbutsu Takara-jima, 1971)
Le studio réalisera bien d’autres films après 1971 mais son déclin commencera aux début des années 70 avec le départ de nombreux réalisateurs et animateurs de talents vers d’autres studios, des personnes aujourd’hui de renom telles que TAKAHATA Isao et MIYAZAKI Hayao.
L’avènement de la télévision japonaise
Malheureusement, l’arrivée de la télévision dans les foyers japonais mis fin à cette vivifiante explosion de réalisateurs pourtant bien inspirés. Quelle est la raison à cela me direz vous. Les producteurs en sont la cause.
En effet, ceux-ci se tournent alors vers une formule nouvelle et beaucoup plus rentable, le film de divertissement. C’est l’arrivée d’un nouveau genre, le Kaiju Eiga (怪獣映画, films de monstres) qui emploie des maquettes de villes en carton et des acteurs costumés en grands monstres de latex. Le plus populaire d’entre eux est Gozilla (ゴジラ, Gojira, 1954) de HONDA Ishiniro sorti en 1954. C’est alors que d’autres monstres dans le même style (Gamera, Mothra) envahissent les salles. C’est le début de la crise du cinéma nippon, qui n’est pas prête de s’arrêter d’ailleurs.
Les jeux olympiques de Tokyo de 1964 finissent d’achever le grand écran en lui portant le coup de grâce. A cette occasion, des millions de foyers s’équipent en postes de télévision pour suivre leurs athlètes nationaux. Ils garderont ensuite l’habitude de rester scotchés sur le tube cathodique. La demande des téléspectateurs est telle que l’on doit importer des productions américaines en masse. De plus, le gouvernement ne fait rien pour aider l’industrie cinématographique dans sa bataille contre le petit écran.
Le Pink Eiga
Le pinku eiga (ピンク映画) signifie « cinéma rose » et désigne une forme de cinéma érotique spécifiquement japonais. Ce genre vit le jour au milieu des années 1960 et regroupe des films à teneur plus ou moins érotique, bien que l’érotisme ne soit pas nécessairement l’objet central du film. Certains pinku eiga furent jugés obscènes pour quelques scènes anecdotiques de nu. Le scénario reste relativement important et le sexe n’est pas montré crûment. Les diverses formes de perversions et surtout de sadisme à l’égard des femmes constituent souvent la principale ressource érotique. Ces films étaient le plus souvent tournés avec un budget dérisoire.
Le pinku deviendra plus érotique durant les années 70, et notamment aux travers des productions de la Nikkatsu appelées « roman porno ». Cette popularité déclinera lorsque le marché de la vidéo amènera la concurrence avec des films purement érotique et pornographique.
Les grands réalisateurs de ce mouvement sont ZEZE Takahisa et WAKAMATSU Koji. Ce dernier étant le plus célèbre avec des films comme Quand l’embryon part braconner (, 胎児が密猟する時?, Taiji ga mitsuryosuru toki, 1966) ou Va va, vierge pour la deuxième fois (ゆけゆけ二度目の処女, Yuke yuke nidome no shojo, 1969).
La nouvelle vague
Pourtant, une filiale des studios Toho, apellée Art Theater Guild (ATG), ravive une lueur d’espoir. Crée dans les années 60, elle avait pour but la distribution de films étrangers mais finira par se consacrer au financement des films de jeunes cinéastes. C’est la nouvelle vague japonaise inspirée du cinéma français à la GODARD. Des réalisateurs comme OSHIMA Nagisa, SHINODA Masahiro ou YOSHIDA Kiju crient leur fureur de vivre en portant à l’écran des films crus remettant en cause la société japonaise. OSHIMA passe pour être le plus grinçant et le plus enragé d’entre eux. Afin d’échapper à l’emprise des grandes maisons de production et de la censure, il fonde sa propre compagnie, la SOZOCHA, après quoi il s’impose très vite comme l’un des plus grands réalisateurs de son époque. On lui doit de nombreux chefs-d’ouvre comme La Cérémonie (儀式, Gishiki, 1971) mais surtout le duo de films L’empire des sens (愛のコリーダ, Ai no korida, 1976) et L’empire de la passion (愛の亡霊, Ai no borei, 1978).
YOSHIDA n’est pas aussi productif mais est également très remarqué pour Eros + Massacre (エロス+虐殺, Eros + Gyakusatsu, 1969) et Onimazu (嵐が丘, Arashi Ga Oka, 1988), une adaptation des « hauts de hurlevent » dans un japon médiéval.
IMAMURA Shohei, quand à lui, reçoit en 1986 la palme d’or de cannes pour la ballade de Narayama (楢山節考, Narayama bushi-ko, 1983)
Mais le dernier film financé par l’ATG a la fin des années 80 passe inaperçu sous le flot des grosses productions hollywoodiennes. C’est que les producteurs ont pris peur et deviennent frileux devant la rage audacieuse des enfants terribles du cinéma japonais, dont l’oeuvre ésotérique et intellectuelle ne remplit ni les salles, ni les tiroirs-caisse. On se tourne alors vers le divertissement commercial. Ce que l’on appellera alors « l’éroproduction », avec ses films pornographiques, qui semble petit à petit s’installer et être le seul moyen de sauver le cinéma de la catastrophe. De cette médiocrité commerciale naîtra le préjugé selon lequel les films japonais manquent d’originalité et de piquant, ce qui n’encourage en rien toute initiative gouvernementale ou privée d’investir dans le secteur. Les studios disparaissent les uns après les autres même si la SHOCHIKU survit grâce à l’éternel succès de son héros à la longévité légendaire TORA SAN. Ce genre de James bond japonais, toujours présent pour sauver la veuve et l’orphelin, reçoit toujours l’approbation du public et compte 43 longs métrages, tournés en série, depuis sa première apparition en 1969.
Les années 70 furent aussi marquées par une série de 6 films inspirés du manga « Lone Wolf and Cub« . Ces films de type samurai-eiga (films de samourais) content l’histoire de OGAMI Ittou, l’exécuteur du shogun, qui prit la décision de veiller et de venger un enfant qu’il découvrit dans une poussette. Traduit en anglais et en français par le titre Baby Cart , ces films restent une référence du genre pour beaucoup de réalisateurs et ont notamment influencé Quentin TARANTINO, qui fait un clin d’oeil à cette série dans KILL BILL vol. 2 (la mariée et sa fille regardent un montage de baby cart).
La recherche désespérée de producteurs poussent de nombreux cinéastes japonais à recourir à l’étranger pour réaliser leur chefs-d’oeuvre. Ce fut le cas pour KUROSAWA pour son film Kagemusha, l’ombre du guerrier (影武者, Kagemusha, 1980) et d’OSHIMA pour Furyo (戦場のメリークリスマス, Senjo no/Merry Xmas, Mr Lawrence, 1983) avec David Bowie dans le rôle principal.
Touché mais pas coulé
Malgré tout, le cinéma japonais vit encore, comme le prouvent des réalisateurs talentueux comme OGURI Kohei et YOSHIMITSU Morita dont de nombreuses rétrospectives dans des cinéma d’art et d’essais du monde entier leur rendent hommage.
Sans oublier bien sur, KITANO Takeshi (ou BEAT TAKESHI, nom qu’il utilise plus souvent quand il s’agit de projet télévisuel), surement l’un des plus célèbres et des plus apprécié hors de ses frontières. Il doit cette renommée à la réalisation de films désormais cultes tel que Sonatine (ソナチネ, Sonachine, 1993), kids return (キッズ・リターン, Kizu ritan, 1996), Hana-Bi (花火, 1997), ou encore pour son adaptation du roman de SHIMOZAWA Kan, Zatoichi (座頭市, 2003). Son dernier film en date en tant que réalisateur est Outrage (アウトレイジ, Autoreiji, 2010).
MIIKE Takashi fait aussi partie de ces réalisateurs qui s’exporte bien à l’étranger notamment grâce à des adaptation de licences à succès comme la série des Dead Or Alive 1,2 et 3, Crows Zero 1 et 2 (クローズZERO, Kurosu zero), MPD Psycho (多重人格探偵サイコ, Tajū jinkaku tantei saiko: Amamiya Kazuhiko no kikan, 2000) ou plus récemment Yatterman ( ヤッターマン, Yataaman, 2009). Celà ne l’empêche pas pourtant de réaliser des films plus personnel, plus complexes et moins « mainstream », comme nous le prouve Big bang love juvenile A (46億年の恋, 46-okunen no koi, 2006), un film barré à souhait, ou bien encore Audition (オーディション, Ōdishon, 1999). Dernièrement, il fit sensation au festival de Cannes en présentant son dernier film Hara-kiri: death of a samurai ( Ichimei, 2011), premier film en 3D en compétition de l’histoire du festival. Il travaille en ce moment à la réalisation de Crows zero 3, dernier volet de la saga, qui devrait sortir en fin d’année 2011 (voir début 2012). Les rumeurs vont bon train concernant le scénario de celui-ci.
On peut noter également SION Sono pour ses oeuvres complètement déjantées, faisant de lui un réalisateur détesté au japon par certains, mais également adulé par d’autres. En effet, il avait fait sensation en 2002 avec Suicide Club (Jisatsu saakuru, 2002) racontant l’histoire de plusieurs dizaines de collégiennes qui se sont rencontrées sur internet afin de mettre fin à leurs jours ensemble en se jetant sous une rame de métro. Il montre ainsi du doigt le malaise de certains jeunes japonais dans cette société qui les étouffe, avant de rempiler avec une suite Noriko’s dinner table (Noriko no shokutaku) en 2005. Ses deux autres films notables sont Strange Circus (Kimyô na sâkasu, 2005) ou la vengeance gore d’une fille qui fut violée puis sequestrée dans un étuis à violoncelle quand elle était petite ainsi que Love Exposure (Ai no mukidashi, 2008), histoire d’amour et de manipulation entre un garçon aux penchants pervers et sa demi-soeur. Ce film, qui dure pourtant 4h, reste prenant du début à la fin.
Bien évidement, d’autres films éparses, car réalisés à des époques différentes et par des réalisateur moins renommés, sont néanmoins bien connus du grand public. Des Films comme Battle Royal (バトル・ロワイアル, Batoru rowaiaru, 2000) de FUKASAKU Kinji ou encore Ring ( リング, Ringu, 1998) de NAKATA Hideo ont beaucoup contribué à la popularisation des films japonais à l’étranger. Plus récent, on peut également mentionner le très beau et poétique film de TAKITA Youjirou, Departures ( おくりびと, Okuribito, 2008).
Je finirais cet article en parlant des comédies nippones, qui sont aujourd’hui un genre très apprécié des jeunes générations, et pas seulement au japon. Ces comédies, la plupart du temps sentimentales et souvent inspirées de manga, de nouvelles littéraires ou encore de séries télévisées (drama) doivent leurs succès a ces derniers dont l’histoire est déjà bien connue du grand public. On peut citer par exemple des films comme l’homme du train (電車男, Densha Otoko, 2005), Kimi Ni Todoke: from me to you (君に届け, 2010) ou encore Give My First Love To You ( 僕の初恋をキミに捧ぐ, Boku no Hatsukoi wo Kimi ni Sasagu, 2009).
Le cinéma japonais a donc encore un bel avenir devant lui, comme nous le prouve la multitude de récompenses (meilleur Film, meilleur réalisateur, meilleur scénario & meilleur production aux 34e Japan Academy Prize) et sa nomination a la 83e cérémonie des oscars dans la catégorie meilleur film étranger pour Confessions (告白, Kokuhaku, 2010) du réalisateur NAKASHIMA Tetsuya.